Retrouvez l'article de Benoît BERCHEBRU, Directeur de l’ingénierie Patrimoniale.
Longtemps présenté comme un classique de l’ingénierie patrimoniale, le démembrement de la clause bénéficiaire d’assurance-vie permet de protéger le conjoint survivant tout en transmettant la nue-propriété à ses enfants. Mais entre perte d’abattements fiscaux, créances de restitution mal formalisées, les récentes réformes fiscales et la création de l’article 774 bis qui vient remettre en cause l’imputation de la créance de restitution en cas de quasi usufruit, les stratégies de clause bénéficiaire démembrée ne sont plus une évidence et sont loin d’être aussi simple qu’il n’y parait. Elles doivent être maniées avec une extrême précaution pour éviter un effet boomerang et la clause bénéficiaire, rédigée avec soin et avec l’aide de spécialiste de la matière. Nous vous proposons d’aborder ces stratégies patrimoniales à l’aube de ces nouveautés réglementaires au travers d’un article complet rédigé en 2 parties.
Le contrat d’assurance-vie, grâce à la liberté de sa clause bénéficiaire, permet de stipuler plusieurs bénéficiaires, en pleine propriété ou en démembrement, voire même de réaliser un mix des deux. Il est également possible de mettre en place des clauses à tiroirs, laissant le choix aux bénéficiaires de rang 1, en général, le conjoint survivant, de ne choisir qu’une quote part des capitaux décès, en pleine propriété ou en démembrement.
« Mon conjoint, non séparé de corps, aura la possibilité de choisir entre les options suivantes :
50% ou 100% des capitaux décès, en pleine propriété ou en usufruit. La quote part des capitaux décès non retenue par le conjoint reviendra à mes enfants, vivants ou représentés, pour cause de prédécès ou de renonciation, en nue-propriété et/ou pleine propriété, à défaut à mes héritiers. Cette quote part reviendra alors à mes enfants directement par mes soins, sans possibilité de retenir qu’il puisse exister un quelconque risque de donation indirecte ou déguisée entre le bénéficiaire de rang 1 et les bénéficiaires de rang 2 puisque, pour qu’il y ait donation, il faut avoir reçu quelque chose. Or, le bénéficiaire de rang 1 qui opterait pour une partie seulement des capitaux décès, en pleine propriété1 ou en usufruit, ne retiendrait pas l’autre partie des capitaux décès. Cette quote part de capitaux n’ayant jamais intégré le patrimoine personnel du bénéficiaire du rang 1, il ne peut pas en disposer, anéantissant ainsi tout risque de dotation déguisée ou indirecte entre le bénéficiaire de rang 1 et 2. »
Si certains assureurs continuent de faire de la résistance sur les clauses bénéficiaires à tiroir avec option démembrée en les refusant, la normalisation est en cours et tout rentrera dans l’ordre tôt ou tard, de gré (s’ils veulent enfin de comprendre par eux-mêmes qu’il ne peut exister de risque de donation indirecte) ou de force (contentieux). Car rappelons le, un assureur n’a pas le pouvoir de refuser l’enregistrement d’une clause bénéficiaire, sauf si elle est contraire aux bonnes mœurs, ce qui n’est bien évidement pas le cas ici dans le cadre d’une clause bénéficiaire démembrée, et ce, même si l’usufruitier désigné est un amant ou une amante.
L’assureur doit donc enregistrer la clause bénéficiaire puis faire ses éventuelles remarques, « la désignation d’un bénéficiaire est un acte unilatéral de volonté et la faculté de substitution n’exige ni le concours du bénéficiaire ni le consentement de l’assureur, lequel ne peut en aucun cas s’opposer à la volonté du contractant »2 comme l’a parfaitement précisé la Cour de cassation dans son dernier arrêt.
Ainsi, pour que la clause bénéficiaire soit valable, la volonté du contractant doit être exprimée d’une manière certaine et non équivoque, un point c’est tout. Il n’est d’ailleurs même plus nécessaire de faire parvenir la clause bénéficiaire à l’assureur puisque l’arrêt du 3 avril 2025 remet en cause les arrêts 13 juin 2019 et 10 mars 2022 qui retenaient que la validité d’une clause bénéficiaire était conditionnée à la connaissance de la modification par l’assureur. Cette condition de connaissance n’est plus une condition de validité de la clause bénéficiaire, même si en pratique, il est tout de même préconisé d’en informer l’assureur pour éviter toute complication liquidative par la suite et de recherche des bons bénéficiaires.
Classiquement : le conjoint survivant est désigné usufruitier des capitaux décès, et les enfants nus-propriétaires. L’usufruitier aura alors droit aux revenus du capital (en cas de somme d’argent : quasi-usufruit possible), tandis que les nus-propriétaires ont vocation à récupérer la pleine propriété et les intérêts non rachetés, au décès de l’usufruitier.
En cas de démembrement de la clause bénéficiaire, l’administration considère qu’il y a pluralité de bénéficiaires. Les abattements individuels de 152 500 € par bénéficiaire pour les primes versées avant 70 ans, et 30 500 € pour l’ensemble des bénéficiaires pour les primes versées après 70 ans sont alors ventilés selon le barème fiscal de l‘article 669 du CGI.
Ainsi, même un conjoint exonéré fiscalement sur la quotepart des capitaux décès reçu consommera une partie des abattements des enfants pour l’abattement de 152 500 € du fait de cette opération de démembrement, rendant la transmission beaucoup plus taxée que prévue par les enfants nu-propriétaire, alors que la quote part d’abattement non utilisée par le conjoint survivant (exonéré) des 30 500 € (pour les primes versées après 70 ans) reviendra aux autres bénéficiaires désignés.
Un conjoint survivant est désigné comme bénéficiaire des capitaux décès pour l’usufruit, les enfants pour la nue-propriété. Au moment de la liquidation du contrat pour cause de décès, la valeur fiscale de l’usufruit des capitaux décès revenant au conjoint bénéficiaire, âgé de 62 ans, sera de 40 % de la pleine propriété (art. 669 CGI).
Conséquence : Pour 1 million d’euros de capitaux décès, le conjoint survivant consommera 40 % des abattements de 152 500 € de chaque enfant bénéficiaire. Soit 61 000 € dont il n’aura pas besoin, puisque exonéré en tant que conjoint, laissant seulement 91 500 € aux autres bénéficiaires, et ce, quel que soit le montant des capitaux décès.
Si les bénéficiaires des capitaux décès sont le conjoint pour l’usufruit et les 2 enfants pour la nue-propriété, dans ce cas(3) :
Du fait de la clause bénéficiaire démembrée, l’abattement de 152 500 € est également démembrée et donc proratisé, les enfants nu-propriétaire ne pouvant pas récupérer l’abattement non utilisé par le conjoint (61 000 € ici) qui est exonéré de fiscalité et ne peuvent bénéficier que d’un abattement 990 I de 91 500 €.
Conseils pratiques :
Raison pour laquelle, afin d’éviter la perte d’une quote part de l’abattement de 152 500 € par les enfants nus-propriétaires, il est préconisé de désigner les enfants comme bénéficiaires des capitaux décès en pleine propriété, à hauteur, par exemple, de l’abattement de l’article 990 I du CGI (152 500 € actuellement) et de démembrer le surplus des capitaux décès avec le conjoint survivant.
Conséquences pratiques de cette stratégie :
Conclusion : Même si l’efficacité globale reste identique, le montant net reçu par les enfants est supérieur dans le 2nd cas, car :
En matière de clause bénéficiaire démembrée sous l’article 990 I CGI, la clé est de réserver l’abattement aux seuls bénéficiaires effectivement taxés.
D’où la stratégie préconisée : Désigner les enfants en pleine propriété à hauteur de l’abattement, puis de démembrer le surplus.
Il est cependant possible d’améliorer encore plus le taux d’efficacité de la transmission en transmettant aux enfants, non pas 152 500 € en pleine propriété mais uniquement la quote part en pleine propriété de l’abattement correspondant à la valeur fiscal de l’usufruit du conjoint qu’il n’utilise pas, soit ici 61 000 €.
On améliore ainsi l’efficacité de la transmission, en limitant le frottement fiscal et en transmettant pratiquement 50 000 € de plus à chaque enfant comparé au cas 1, mais avec moins de fiscalité (34 380 contre 41 700 € dans le 1er cas), le conjoint survivant recevant cependant moins. Mais cela pourra être compensé pour la mise en place d’un quasi usufruit sur tout ou partie des capitaux décès (voir partie 2 à paraître).
Revoir sa clause bénéficiaire tous les 10 ans en fonction de l’âge de l’usufruitier désigné dans celle-ci pour adapter la quote-part attribuée en pleine propriété aux enfants à chaque passage de dizaine + 1 de l’usufruitier est donc un très bon conseil que l’on peut donner aux clients.
Si les sommes sont versées après les 70 ans de l’assuré sur le contrat d’assurance vie, l’abattement de 30 500 € se partage entre l’ensemble des bénéficiaires du contrat. Et en cas de clause bénéficiaire démembrée et d’un conjoint usufruitier exonéré, sa quote part d’abattement disponible non utilisée reviendra alors aux autres bénéficiaires qui se partageront alors l’abattement de 30 500 € en pleine propriété, qui sera déductible de la quote part des capitaux reçus en démembrement pour la nue-propriété.
La valeur fiscale de l’usufruit des capitaux décès revenant à un conjoint bénéficiaire des capitaux décès d’assurance, âgé de 62 ans au jour de la liquidation du contrat, sera de 40 % de la pleine propriété (art. 669 CGI). Sur un contrat d’1 M€ avec un montant des primes versées après 70 ans de 800 000 € et 200 000 € d’intérêts exonérés, les 2 enfants bénéficiaires se partageront alors l’abattement de 30 500 €, soit 15 250€ chacun à faire valeur fiscalement sur la quote part de leur nue-propriété taxable, puisque lorsqu’un bénéficiaire est exonéré de fiscalité, sa quote part d’abattement revient aux autres bénéficiaires par parts égales :
Si l’abattement de 100 000 € en ligne direct n’est pas utilisé par ailleurs, il s’applique ici, soit 256 856 € – 100 000 € = 156 856 € x 20% – 1806 € = 29 565 € de frottement fiscal par enfant bénéficiaire, contre 43 144 € en l’absence d’abattement.
Conclusion : une logique d’optimisation à deux vitesses selon l’âge au moment des versements
Le démembrement de la clause bénéficiaire peut provoquer une perte sèche d’abattement de 152 500 € lorsqu’un bénéficiaire exonéré (ex. : conjoint usufruitier) consomme une quote-part de cet abattement sans en avoir besoin, au détriment des bénéficiaires effectivement taxés (ex. : enfants nus-propriétaires).
L’abattement est proratisé selon l’article 669 du CGI et n’est pas ré attribuable entre bénéficiaires
Stratégie recommandée :
Désigner les enfants en pleine propriété à hauteur de 152 500 € chacun (afin de purger intégralement les abattements) ou de 61 000 €, puis démembrer le surplus au bénéfice du conjoint.
Cette approche permet :
L’abattement global de 30 500 € est collectif mais, à la différence du 990 I, la quote-part d’un bénéficiaire exonéré (ex. : conjoint) est ré attribuée aux autres bénéficiaires.
Il n’y a pas de perte d’abattement pour les enfants si le conjoint est exonéré. L’abattement est ventilé entre eux en pleine propriété, ce qui diminue l’assiette de taxation de leur nue-propriété.
Entre subir et choisir, il faut toujours choisir et donc privilégier, comme démontré dans les différents exemples, le sur mesure et accepter de payer des honoraires de conseils et d’accompagnement pour y arriver. Car l’expertise à une valeur et donc un prix.
Abattement : 152 500 €/bénéficiaire
Perte si conjoint exonéré ? : ✅ Oui (non récupérable)
Stratégie d’optimisation : 💡 Pleine propriété à hauteur de l’abattement pour les enfants, démembrement du surplus
Abattement : 30 500 € global
Perte si conjoint exonéré ? : ❌ Non (réattribution)
Stratégie d’optimisation : ✅ Démembrement possible sans perte d’abattement
Nous aborderons dans la partie 2 de l’article à paraître prochainement, les conséquences de la mise en place d’un quasi usufruit sur les capitaux décès transmis en démembrement et l’impact concernant l’imputation de la créance de restitution à faire valoir sur l’actif de succession du quasi usufruitier à son décès, permettant d’éviter les conséquences négatives de l’article 774 bis du CGI qui interdit l’imputation de la créance de restitution.
Benoît BERCHEBRU, Directeur de l’ingénierie Patrimoniale chez Nortia.
(1) Rép. min. n° 18026 à M. Malhuret 22 septembre 2016 (2) Arrêt chambre civile cour de cassation du 3 avril2025 n° 23-13.803 (3) Hors prélèvements sociaux (4) Pleine propriété (5) Formule rapide calcul DMTG (6) Ramenés à 21 700 € si l’abattement de 100 K€ existe toujours en ligne directe et non utilisé dans le cadre de la liquidation de la succession (7) 1 M€x60% / 2 (8) Hors prélèvements sociaux (9) Hors prélèvements sociaux
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